
Vivre avec l’endométriose : 25 ans d’errance, de douleur et de combat invisible
Je vis avec une endométriose profonde depuis l’adolescence. Après 25 ans d’errance médicale, de douleurs chroniques, de traitements inefficaces et d’indifférence institutionnelle, je témoigne ici de mon parcours. Un récit brut, intime, nécessaire, pour comprendre ce que signifie vraiment vivre avec l’endométriose.
Vivre avec l’endométriose, ce n’est pas simplement avoir mal pendant les règles. C’est vivre avec un corps devenu champ de bataille, où chaque mois, chaque jour parfois, se transforme en épreuve. J’ai mis 25 ans à poser un mot sur ce que je ressentais depuis mes 11 ans. Une errance médicale longue, épuisante, marquée par l’indifférence, le scepticisme et l’ignorance, même parmi les spécialistes. Ce témoignage, c’est le mien. Sans filtre, sans faux-semblant. Une parole crue, honnête, que j’aurais voulu lire quand je me croyais seule à hurler intérieurement. Parce que derrière chaque diagnostic tardif, il y a une femme qui souffre, qui lutte, et qui, souvent, survit plus qu’elle ne vit.
Premières règles, premiers signes ignorés
J’ai eu mes premières règles à 11 ans. Elles n’étaient pas juste gênantes, elles étaient hémorragiques et douloureuses à en pleurer. Mon ventre se tordait, mes jambes étaient comme prises dans un étau, et la chaleur des protections imbibées me collait au corps comme un rappel constant que quelque chose n’allait pas. On m’a vaguement parlé d’endométriose à l’époque, sans jamais approfondir. Puis plus rien. Le mot a disparu, comme si le fait d’être jeune invalidait ma douleur.
À l’adolescence, les douleurs n’ont pas disparu, elles ont muté. Mes premières relations sexuelles ont été un enfer : sécheresse, douleur vive à la pénétration, rapports sanglants, infections à répétition. Je pensais que c’était moi, que je n’étais pas “normale”. Les examens se succédaient, les frais médicaux aussi, mais jamais aucun gynécologue – même les mieux rémunérés – ne m’a dit : “C’est peut-être de l’endométriose.” J’enchaînais les mycoses, les cystites, les règles interminables, parfois douze jours de saignements, sans qu’on s’inquiète davantage.
Et comme beaucoup, je me suis tue. Parce qu’on finit par croire qu’on exagère, qu’on a trop d’imagination, qu’avoir mal est “normal”. La banalisation de la souffrance féminine est l’un des terreaux les plus fertiles pour l’ignorance. Et pendant ce temps, la maladie avançait. En silence.
Des douleurs viscérales incomprises
C’était le premier jour du déconfinement en mai 2020. Tout le monde parlait de liberté retrouvée, moi je rampais par terre en larmes, incapable de me tenir debout. Une douleur d’une violence animale, viscérale, presque inhumaine, m’encerclait le ventre, irradiait le dos, me clouait au sol. Je n’avais plus mes règles depuis deux mois, mais je savais que ce n’était pas une fausse couche — j’en avais déjà fait une. Et ce n’était pas une colique néphrétique non plus. Non. C’était autre chose. Quelque chose de pire.
J’ai commencé un marathon médical. Mon généraliste me voyait tous les deux jours. Échographies, radiographies, scanner, prises de sang à répétition, IRM… j’ai coché toutes les cases. Rien. Aucune explication. Aucune alerte. Il a fallu que je pousse les portes des urgences, malgré le Covid et la peur d’y mourir autrement, pour qu’un médecin, après un toucher rectal brutal, lâche enfin deux mots : rectorragie et hématosalpinx.
Et là, tout s’est enchaîné. Opération chirurgicale urgente. Et surtout, la révélation : ce n’était pas un simple hématosalpinx comme on me l’avait dit sur les précédentes imageries. Non. C’était de l’endométriose profonde, avec atteinte des ovaires par d’énormes kystes, et une localisation dans le cul-de-sac de Douglas, une zone si délicate qu’il est aujourd’hui impossible de m’opérer à cet endroit.
Trois semaines d’errance et de souffrance insupportable pour entendre enfin ce que je savais depuis longtemps : je n’allais pas bien, et ce n’était pas dans ma tête.
Isolement et manque de reconnaissance : l’endométriose invisible
Je ne me sens pas soutenue. C’est sans doute l’un des aspects les plus cruels de cette maladie : elle ne se voit pas, donc elle est minimisée.
Ce que peu comprennent, c’est que ces douleurs sont quasiment quotidiennes. Pas une simple gêne passagère. Non, une souffrance chronique, ancrée dans la chair et les nerfs. Une douleur qui s’invite le matin, rôde toute la journée, et ne me laisse aucun répit.
Alors je sers les dents et je souffre en silence. Je n’entre pas dans les détails avec mes amis. Comment leur dire que je suis au bord de l’évanouissement pour une « simple » période de règles ? Que je vis un deuil permanent de mon corps, de ma féminité, de mes projets ?
Seule ma sœur me comprend. Elle vit une autre forme d’endométriose, mais elle sait. Elle voit. Elle ressent. C’est un lien précieux.
En 2020, j’ai frôlé la mort pendant mon opération. Une expérience de mort imminente. Une traversée de l’indicible. Et pourtant, je n’en parle presque jamais. Parce qu’il est difficile de faire entendre ce que personne ne veut vraiment écouter : que je vis avec une maladie chronique, invalidante, évolutive… et que je me bats seule.
Ce que j’ai vu quand j’ai frôlé la mort : comprendre l’expérience de mort imminente
Même mon algologue – ce médecin spécialisé dans la douleur – semble découragé face à mon cas.
Une maladie en constante évolution : l’ombre qui grandit
L’endométriose ne reste jamais sage. Elle s’infiltre, elle colonise, elle s’étend. Et même quand on pense l’avoir stabilisée, elle revient, sous une autre forme, avec d’autres complications.
Mon tableau clinique s’est alourdi avec les années. Aujourd’hui, je dois faire face à de nouvelles atteintes : l’adénomyose, plusieurs fibromes utérin, et des adhérences quasiment partout dans la cavité abdominale. C’est une guerre intérieure permanente.
Chaque bilan médical apporte son lot de mauvaises nouvelles. Chaque IRM révèle une progression insidieuse, un tissu qui s’épaissit, une zone qui devient inaccessible. Même mes médecins peinent à suivre le rythme.
Et dans le fond, je n’en suis pas surprise. Mon corps me l’avait déjà dit. Il hurle chaque jour, par la douleur, par la fatigue, par les épisodes de diarrhée ou de constipation, par les nuits blanches. La maladie ne me laisse aucun répit. C’est comme vivre avec un incendie permanent, invisible aux yeux des autres mais ravageur pour moi.
J’ai appris, au fil des années, à connaître chaque recoin de mon bassin, chaque organe abîmé, chaque nerf enflammé. Je pourrais presque dicter un rapport médical moi-même. Mais la connaissance ne soulage pas. Elle ne fait qu’ajouter une lucidité cruelle au cauchemar quotidien.
L’usine à médicaments : quand les traitements échouent un à un
Face à l’endométriose, on tente tout. Et surtout, on espère. Chaque ordonnance est une promesse de répit, une bouée lancée à une noyée. Mais souvent, elle coule avec moi.
J’ai commencé jeune : du Lutéran et de l’Antadys dès mes 13 ans, jusqu’à presque mes 20 ans, pour calmer les douleurs et les hémorragies. Après l’opération de mai 2020, je suis entrée dans une valse hormonale : Optilova, Minidril, Sawys, Leeloo, Seasonique, et depuis février 2023, Slinda. Cette dernière m’a plongée dans une ménopause artificielle. Une tentative de repos pour mon utérus, mais une épreuve de plus pour tout le reste.
J’ai tout essayé. Des cures de kétamine et de lidocaïne en hôpital, en passant par les antidépresseurs comme le Cymbalta ou le Laroxyl, des anxiolytiques comme l’Alprazolam, des crèmes anesthésiantes à la lidocaïne, des laxatifs comme Forlax et Eductyl… Rien n’a réellement fonctionné. Un effet placebo, parfois. Une illusion, souvent.
Mon corps est devenu un champ d’expérimentation. Chaque molécule testée laisse derrière elle des effets secondaires, des espoirs déçus, des ordonnances empilées comme des archives d’un combat sans fin.
En 2021, j’ai même accepté une ponction d’ovocytes, malgré la douleur, malgré la peur, malgré tout. Trois ont été prélevés. Une sécurité dérisoire, comme un gilet de sauvetage troué dans une mer de feu.
Et malgré tout ça, la douleur est toujours là. Presque tous les jours. Insistante. Fidèle. Elle me rappelle que je suis malade, même quand les médecins n’ont plus de solution.
Une armée de spécialistes… et toujours pas de paix
Face à la complexité de mon état, la médecine seule ne suffit plus. Il a fallu mobiliser une équipe entière pour tenter d’apporter un peu de clarté, un peu de soulagement, parfois juste un peu d’écoute.
Aujourd’hui, je suis suivie par :
- Une gynécologue,
- Une sage-femme,
- Un généraliste,
- Un algologue (spécialiste de la douleur),
- Un néphrologue,
- Un urologue,
- Et une psychiatre.
Tous ces spécialistes sont installés à Aix-en-Provence. À Avignon, où je vis actuellement, je n’ai trouvé aucun médecin disponible pour me prendre en charge. Le désert médical ne se dit pas, il se vit. Chaque déplacement devient un calvaire, mais il est nécessaire pour ne pas sombrer complètement.
J’ai refusé une nouvelle opération chirurgicale que me proposait ma gynécologue. Non pas par peur, mais parce que ses honoraires étaient tout simplement inaccessibles. En fin de compte, dans cette maladie, la souffrance a un prix — souvent trop élevé.
La fatigue administrative, elle aussi, fait partie du quotidien. Les demandes à la MDPH ou pour une reconnaissance d’invalidité sont un parcours du combattant. Même avec un dossier béton, des certificats, des justificatifs à la pelle, on se heurte à des refus absurdes. Parce qu’on ne rentre pas dans la bonne case. Parce qu’on n’a pas (encore) coché la bonne catastrophe médicale.
Et pendant que l’on débat de critères, on souffre.
L’endométriose n’est pas une “maladie à la mode”. Ce n’est pas un effet de société. C’est un fléau silencieux. Une pathologie invisible qui broie des vies actives, des carrières, des amours, des corps. Mais nous sommes trop souvent ignorées. En attendant, c’est nous qui payons. En douleur. En solitude. En résignation.
Une vie broyée par l’endométriose : quotidien, isolement et survie
Vivre avec l’endométriose, c’est comme être enfermée dans un corps qui vous trahit à chaque respiration. Les douleurs sont quasiment quotidiennes, lancinantes, étouffantes, elles colonisent tout : le ventre, le dos, les lombaires, les jambes, les bras, les épaules, la nuque, jusqu’aux tempes. Elles ne dorment jamais. Elles se transforment parfois en céphalées chroniques, en insomnies, en crises de constipation, ou en diarrhées épuisantes. Chaque jour devient une roulette russe. Certains matins, je me lève avec assez d’énergie pour avancer un peu. D’autres fois, je suis un légume incapable d’aller jusqu’à la boîte aux lettres.
Faire les courses, porter un sac, sortir, marcher, prendre le train, partir en vacances ? C’est devenu un défi logistique, physique, mental. J’adapte mes sorties à mon état, je repousse, j’annule. Il m’arrive littéralement de vomir après avoir couru quelques mètres. Le simple fait de marcher peut ressembler à un marathon invisible. Alors, je gère, comme je peux. Je serre les dents. Et je m’excuse presque d’exister.
Depuis l’opération chirurgicale de mai 2020, ma vie intime est à l’arrêt. Mon couple n’a pas survécu à la douleur ni au vide laissé par la maladie. Depuis juillet 2020, plus personne dans ma vie. Faire l’amour ? Impossible. Même un examen gynécologique est devenu insupportable à cause d’un vaginisme solidement installé. Partager mon intimité, voyager, me projeter dans une relation, vivre à deux ? Des horizons que la maladie m’a arrachés sans ménagement.
Au travail, la descente a été brutale. Je faisais de mon mieux pour rester fonctionnelle, même en crise. Mon ancienne cheffe me harcelait, allant jusqu’à me dire que je devais installer mon bureau dans les toilettes pour assister aux réunions. Elle me voulait efficace, même avec quatre serviettes hygiéniques sur moi, en pleine hémorragie, pliée de douleur. En avril 2025, j’ai été déclarée inapte, sans reclassement possible. Fin de partie.
Et autour ? Le désert. Mes parents ne comprennent pas. Mon père me dit : « Va à l’hôpital si t’as mal ». J’y passe déjà ma vie. Ma mère me répond que je n’ai pas connu trois accouchements. Je n’explique plus rien à mes amis. À quoi bon ?
L’endométriose n’est pas une maladie à la mode. C’est une lente destruction. Et c’est nous qui souffrons en silence.
Survivre plus que vivre
Je ne vis pas, je survis. Avec une endométriose qui ronge tout, jusqu’à l’envie d’être là. Cette maladie m’a volé mon corps, mon travail, mes amours, ma liberté, ma légèreté. Elle m’a forcée à devenir une guerrière épuisée, seule au front, sans trêve ni renfort.
On ne choisit pas l’endométriose. On choisit seulement de ne pas se laisser entièrement dévorer. Même si certains jours, je n’en suis plus si sûre. Je veux juste être entendue, reconnue, et que les autres sachent. Que derrière les sourires forcés, il y a une douleur chronique, systémique, dévastatrice. Et un courage qu’on ne devrait jamais avoir à déployer autant, juste pour exister.

